Les fils de la bonté
- diana
- 22 oct.
- 5 min de lecture
Par Diana Bourel
Une brève rencontre par un matin pluvieux à Bruxelles se transforme en une méditation sur la confiance, la perte et la toile invisible qui nous relie tous.
« La bonté circule à travers nous comme la lumière dans une toile. »— Diana Bourel
Et si chaque petit geste de bonté révélait quelque chose de plus grand ?
En douze minutes — le temps d’un trajet sous la pluie entre mon logement et la gare — un inconnu et moi avons tissé le fil qui nous relie : ce flux discret du donner et du recevoir qui fait de nous, tout simplement, des êtres humains.

Ce matin-là, mon chauffeur de taxi était là avec quinze minutes d’avance. Les rues de Bruxelles luisaient, encore humides de la pluie nocturne. Sur le trottoir, un tapis de feuilles dorées s’étalait — celles qui avaient rendu l’âme pendant que le monde dormait.
Ayoub Belhoussine — c’est son nom — m’a expliqué qu’à la fin octobre, les arbres sont d’ordinaire déjà nus. Mais cette année, l’automne s’était fait attendre, un peu comme les bonnes nouvelles.
Ces temps sont empreints d’anxiété. Pour tenir debout, il faut trouver le bien, ne pas céder à la noirceur.
La rencontre
Cet homme était le même qui, en septembre, m’avait conduite lors de mon arrivée en ville. Je lui avais alors demandé sa carte, lui promettant de faire appel à lui lors de mon prochain séjour. Dimanche soir, c’est ce que j’ai fait.
Il se souvenait vaguement de moi, mais confirma qu’il serait là à l’aube. Et il l’était — en avance, comme promis.
Je l’ai remercié. Je lui ai dit que la ponctualité, le respect de la parole donnée — même envers une inconnue, même lorsque rien d’important n’en dépend — créent de la confiance. Cela nous rassure : l’intégrité existe encore, silencieuse, dans les gestes ordinaires que l’on oublie parfois d’apprécier.
Notre accord tacite signifiait que, chacun à notre manière, nous avions fait l’effort de nous rencontrer.Comme une toile d’araignée, nous, les humains, sommes reliés de mille façons — qu’on les voie ou non.
La toile invisible
Lorsque je lui ai parlé de cette toile invisible, Ayoub a hoché la tête.« La vie est bien faite. Tout arrive pour une raison, même si on ne comprend pas toujours le pourquoi sur le moment. »
Nous avons parlé de gratitude, et de la façon dont certains événements, en apparence tragiques, peuvent parfois sauver une vie — la redéfinir, la transcender.
Je lui ai raconté l’histoire d’une amie, miraculeusement revenue d’un grave accident de kitesurf, sauvée par l’amour tenace de sa famille et le dévouement de ses soignants.Il m’a parlé, lui, d’un accident de voiture qui l’avait bouleversé, mais qui, rétrospectivement, lui avait peut-être évité pire.
Nous avons évoqué cette recherche du bon dans les décombres — ce patient travail de tri dans les ruines du quotidien.D’un mot à l’autre, nous marchions sur ces fils délicats entre philosophie, spiritualité et expérience humaine.
La lignée de la bonté
Comment retrouver la trace d’un geste de bonté ?
Nous n’existons pas dans le vide. Chaque acte d’amour porte une lignée.
La bonté circule à travers nous comme la lumière dans une toile : elle se propage le long des fils invisibles tissés par nos ancêtres, nos parents, tous ceux qui un jour nous ont tendu la main.Lorsque nous répétons ces gestes, nous les faisons vivre à nouveau.
Cette toile se tisse afin que, collectivement, notre humanité laisse une empreinte plus douce.
Lorsque nous nous sentons en sécurité, nous accédons au meilleur de nous-mêmes : à notre capacité de lien et de don.Sans ce sentiment, cet élan se retire, laissant place au froid, à la tristesse, au chacun-pour-soi dont les journaux se font l’écho.
C’est un choix, à vrai dire : celui de participer activement à créer des conditions de sécurité et de solidarité — surtout lorsque c’est difficile.Par nos actes, nous façonnons le monde que nous souhaitons habiter.
Les objets perdus et les gestes retrouvés
Arrivés à la gare, nous avions fait bon usage de ces douze minutes — à parler de la vie, de notre interdépendance.Le trajet prit fin, la conversation aussi, naturellement.
« Merci, Ayoub », lui ai-je dit en descendant. Il a souri, la main sur le cœur.Je ne savais pas encore que l’histoire n’était pas terminée.
À Paris, à peine rentrée, la découverte : mon sac avait disparu.Le cœur battant, j’ai appelé Ayoub.
« Excusez-moi de vous déranger… Est-ce que, par hasard, j’aurais oublié mon sac dans votre taxi ? »— « Non, madame, je suis navré, mais vous n’avez rien laissé. »
Alors, il allait falloir retracer mes pas, un par un.Le sac était-il au Starbucks ? Dans le train, voiture 3, siège 72 ? Dans le métro ?Il y aurait des appels à passer, des pistes à éliminer une à une.
En même temps, il fallait agir : bloquer les cartes, déclarer la perte.Je ne voulais pas déranger mes amis, déjà éprouvés.Aussi étrange que cela puisse paraître, Ayoub était la seule personne à qui j’ai pensé.
Le SOS
Sans la moindre hésitation, il se proposa de m’aider. Et il le fit.
Il alla au Starbucks, puis à l’Eurostar, cherchant partout ce sac qui contenait une bonne partie de ma vie itinérante.
Qu’il ait répondu avec tant de calme et de générosité envers une quasi-inconnue fut pour moi une leçon.
Finalement, mon sac n’était pas à Bruxelles, mais à Paris, récupéré aux objets trouvés de la Gare du Nord par un autre inconnu, un bon samaritain.
J’ai rappelé Ayoub pour le remercier.Il était heureux pour moi, sans chercher ni récompense ni reconnaissance.
« C’est normal », a-t-il insisté.
Et je savais que, dans son univers, c’était vrai : la bonté est si naturelle qu’il n’y a rien d’exceptionnel à aider autrui.
Le stress a laissé place au soulagement, puis à une immense gratitude.Cet acte de bienveillance fut le fil conducteur de cette histoire.
Le curseur bouge
Nous sommes tous reliés, tous entrelacés.La bienveillance est le « comment » ; préserver une certaine qualité d’humanité est le « pourquoi ».
Pour qui sait les voir, les toiles d’araignée sont des miracles.
Soyons de ceux, comme Ayoub, qui tendent la main — à leurs proches, oui, mais aussi à l’inconnu, quand rien n’y oblige.
Ce niveau de bonté simple, multiplié ne serait-ce que par quelques personnes en une seule journée, pourrait bien changer le monde — ou, du moins, le petit coin dont chacun d’entre nous s’occupe.
Une note sur la peur et le système nerveux
La bonté et la compassion ne sont pas seulement des vertus morales : elles ont un impact mesurable sur notre système nerveux. La peur, elle aussi, a sa place : elle est une donnée, pas une destinée. Elle nous indique où la guérison est nécessaire.




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